Zheng He
Nous sommes en 1405. Les Européens ne dominent pas encore l’océan
Indien. Vasco de Gama n’a pas encore atteint Calicut, en Inde. Il faudra
attendre 1498.
Les Chinois, en
revanche, préparent une immense expédition maritime vers l’océan Indien.
L’amiral chinois Zheng He (1371 – 1433
ap. J.-C) mènera son armada commercer jusqu’à
Zanzibar. Cet eunuque, musulman, est au service de l’empereur Yongle (1402- 1424), de la dynastie Ming.
Entre 1405 et 1433, Zheng He mène 7 expéditions à partir du port de Longjinang. Il
passera par presque tous les grands ports des pays du pourtour de l’océan
Indien. Sa flotte s’arrête d’abord à Java puis à Sumatra, pour
ensuite accoster à Calicut. Il poursuit par la Perse, pousse en Arabie jusqu’à Djedda, après une étape à La Mecque. Enfin
il redescend vers l’Afrique orientale.
La flotte de la première expédition comptait 317 vaisseaux, dont 62 “bateaux trésors”, d’énormes
vaisseaux de 110 à 130 mètres de long
et de 50 mètres de large qui pouvaient transporter jusqu’à
500 passagers.
En comparaison, les caravelles de
Christophe Colomb de 1492 ne dépassaient les 25 mètres de long.
Autre exemple, l’Invincible Armada espagnole de 1588 ne comptait “que” 132
navires.
En 1405, les Chinois ont encore une très large
avance technique sur les Européens. Ils utilisent la
poudre, le papier et l’imprimerie. C’est le pays le plus peuplé au monde, qui
connait la lettre de change, le crédit. Ils exportent de la porcelaine, de
la soie, du lin, du cuivre, etc.
Itinéraire
des voyages de Zheng He de 1405 à 1433 | Wikimédia Commons
Il ne s’agissait pas ici de chercher de nouvelles voies pour commercer, ni d’explorer de nouvelles
terres.Les routes maritimes empruntées par la flotte de
Zheng He sont connues et sont fréquentées par les marchands arabes depuis le
7ème siècle.
L’empereur Yongle
souhaitait avant tout mener une politique de prestige pour étendre le rayonnement de la
Chine, asseoir son pouvoir et celui de la jeune dynastie Ming (au pouvoir
depuis 1368).
Ainsi, au cours de
ces expéditions, Zheng He engage surtout des relations diplomatiques avec une trentaine de pays. C’était
aussi l’occasion d’échanger des présents ou de rapporter des curiosités,
comme des girafes, animaux de bon augure assimilés à des licornes, ou des
produits exotiques. Cependant, des marchands privés ont bien sûr profité des
expéditions pour faire leur commerce.
Bref, ces expéditions n’avaient pas
pour but de diffuser une religion, ni de faire de nouvelles conquêtes,
ni de coloniser de nouvelles terres et de trouver des esclaves.
Ces expéditions n’ont cependant pas été
exemptes de violences. Dans plusieurs ports, les
troupes de Zheng He n’ont pas hésité à restaurer l’ordre, notamment à Java, à
Sumatra et à Ayutthaya, capitale du Siam.
C’était aussi l’occasion de trouver de nouveaux
tributaires pour renforcer la puissance de la dynastie Ming.
Aux yeux de la Chine, les États voisins étaient des États vassaux qui devaient
lui verser un tribut en signe de reconnaissance de leur soumission. Ils
obtenaient en échange le droit de commercer avec elle et bénéficiaient,
théoriquement, de sa protection.
La dynastie Ming au pouvoir en Chine
met fin à ces voyages en 1433, avec la mort de
Zheng He. Les armées mongoles et mandchoues, au nord, menacent. Ces expéditions
sont onéreuses. La poursuite de la construction de la Grande Muraille devient la priorité. Les Ming privilégient
alors unepolitique isolationniste.
Ces voyages n’eurent jamais de suite. La construction de navire fut interdite. En 1525, un édit impérial décide
la destruction des bâtiments existants. Pire encore pour
l’Histoire, le vice-ministre de la Guerre fit détruire vers 1479 tous les
documents se rapportant à ces expéditions. Le commerce de la Chine avec
l’extérieur fut interrompu jusqu’en 1567.
Il faut attendre 1848 pour que le premier navire chinois, leKeying, franchisse
le cap de Bonne-Espérance, pour rejoindre Londres.
La caravelle de Colomb comparée à un bateau trésor de Zheng He.
Une propagande efficace !
Aujourd’hui, la mémoire de
Zheng He est honorée en Chine.
Cette réhabilitation a une dimension politique et idéologique.
Elle sert à la Chine à se présenter comme une puissance commerciale pacifique, voire
altruiste, qui respecte la souveraineté des pays avec lesquels elle traite, au
contraire des nations européennes.
Dès le communisme, en 1963, Zhou Enlai
se sert de la figure de Zheng He pendant sa tournée en Afrique. En 1983, on
restaure son cénotaphe. Des ouvrages lui sont consacrés depuis. On célèbre
aussi le 600ème anniversaire de sa première expédition et on évoque son
souvenir en 2008 lors de la cérémonie d’ouverture des JO.
La Chine cherche ainsi à rassurer les
pays voisins de la Chine devant son ambitieuse politique maritime.
La mémoire de Zheng
He est aussi utilisée par le régime communiste pour rassurer la population
musulmane de Chine, représentant environ 20 millions de personnes.
Cette minorité a de quoi s’inquiéter. La Chine mène unepolitique de colonisation de la région du Xinjiang,
peuplée par une minorité turcophone musulmane, les Ouïgours. Les Hans, l’ethnie chinoise
majoritaire, représente désormais 40% de la population du Xinjiang. Se sentant
marginalisée, une partie de la population s’est tournée vers l’islamisme et des
attentats terroristes ont touché à plusieurs reprises les populations de
colons.
Pour contrer cette
tendance, la propagande du régime utilise Zheng He en le présentant comme un
musulman ayant mis sa ferveur religieuse au service de la grandeur de la Chine.
Bref, nous n’avons pas fini d’entendre
parler de Zheng He !